lundi 1 novembre 2010

Jan Švankmajer


Rangées de sièges trop étroites, freaks bourrés de tocs, divas en hauts talons et vieux garçons nauséabonds : moins d'un mois après l'Etrange Festival, retour au Forum des Images pour l'intégrale Jan Švankmajer, exceptionnel réalisateur tchèque dont on connaissait surtout les courts-métrages (comme Darkness, Light, Darkness ou Meat Love) et que l'on a enfin pu découvrir (ou redécouvrir, dans le cas de l'exceptionnel Alice) en long format et sur grand écran dans le cadre de cette retrospective-marathon de cinq jours. Sélection express à l'usage des impatients et des étourdis.


Lekce Faust
1994

Un soir, en rentrant de son travail, un homme se voit offrir un étrange prospectus à la sortie du métro. De retour chez lui, il chasse une poule qui a élu domicile dans un de ses placards et a recouvert son tapis d'excréments, puis se fait à manger. A la fin de son tumultueux repas (qui sera perturbé par la découverte d'un oeuf dans une miche de pain), il inspecte le prospectus, qui est en fait une photocopie d'un plan de la ville sur laquelle figure un point rouge. Après avoir localisé l'endroit désigné sur le plan, il décide de s'y rendre et pénètre alors dans un monde fait de rituels sataniques, de marionnettes hystériques et de doubles maléfiques dont il devient très vite prisonnier et où chaque porte de sortie, loin de lui apporter la délivrance espérée, semble le plonger plus profondément encore dans cet univers de non-sens et de folie.




Probablement mon préféré de tous les longs projetés durant cette intégrale, Lekce Faust est, comme son nom l'indique, une très libre adaptation des pièces de Marlowe et Goethe, terrains idéaux aux excessives dérives hallucinatoires de Švankmajer, où s'étalent sans retenue aucune ses obsessions pour le sexe et la nourriture (le réalisateur n'a jamais caché qu'il a souffert de lourdes phobies alimentaires durant son enfance). Drôle, cruel, parfois repoussant mais toujours passionnant, Lekce Faust n'épargne personne, et surtout pas le spectateur, embarqué de force dans l'enfer absurde de son héros où même le rire devient une souffrance (l'incroyable scène de l'invocation du démon par le bouffon, hilarant vertige faisant écho à l'étourdissant numéro du Chapelier Fou dans Alice).


Neco Z Alzenky
1988

Plus connu de ce côté-ci de l'Europe sous le nom d'Alice, Neco Z Alzenky a été pour beaucoup la porte d'entrée dans la filmographie de Švankmajer et est, de fait, son film le plus couramment cité, mais pas pour autant son plus accessible.




N'utilisant le texte original de Lewis Carroll que comme une simple base, Neco Z Alzenky est avant tout un des plus brûlants cauchemars qu'il vous sera donné de voir sur pellicule. Violence, non-sens, transformations inopinées et situations inextricables : cette Alice là, loin de balader le spectateur avec complaisance dans un Pays Des Merveilles inodore, joue sans le moindre ménagement avec ses peurs et ses obsessions les plus profondes, lui rappelant à chaque instant que le cauchemar qu'elle traverse n'est pas uniquement le sien.


Otesánek
2000

Stériles tous les deux, Karel et Božena Horak sont dans l'incapacité d'avoir un enfant. Leur frustration tourne à l'obsession, lorsqu'un jour, en creusant dans le jardin de la maison de campagne qu'ils viennent d'acheter, Karel déterre une souche d'arbre dont la forme rappelle celle d'un nouveau-né. Il la montre à sa femme, qui commence bientôt à la couver, la langer et l'habiller comme si il s'agissait d'un véritable bébé. Après plusieurs mois, au cours desquels Božena montera d'invraisemblables stratagèmes pour faire croire à leurs voisins qu'elle est enceinte, la souche d'arbre -désormais prénommée Otik- prend vie et fait bientôt preuve d'un appétit chaque jour un peu plus vorace.




Adaptation -là encore, très libre- d'un conte homonyme de Frantisek Hrubin (Souchinet en VF), Otesánek voit les cauchemars et obsessions de Švankmajer investir un canevas nettement plus conventionnel que celui de ses précédents longs métrages, pour évidemment mieux le subvertir par la suite. Moins fantasmagorique que Lekce Faust ou Alice, Otesánek joue d'avantage la carte de la comédie déviante et bilieuse (portée par une poignée d'acteurs exceptionnels, à commencer par l'impayable Kristina Adamcová, qui interprète le rôle d'Alzbetka, la très précoce et ingénieuse fille des voisins du couple Horak), réduisant au strict minimum séquences d'animation et prouesses graphiques pour aller chercher l'horreur et l'absurde dans les méandres d'un quotidien où plus personne ne semble être en mesure de distinguer le vrai du faux.


Spiklenci Slasti
1996

Divers personnages se livrent à d'étranges activités secrètes : une factrice confectionne des centaines de boulettes de mie de pain, un jeune homme se construit un étrange masque de poulet, un vendeur de journaux greffe des mains mécaniques sur un téléviseur, et un énigmatique moustachu parcourt antiquaires et supermarchés à la recherche de plumes, clous, fourrures, couvercles de poubelles et rouleaux à pâtisserie, qu'il emmagasine dans son garage, sous le regard éploré de son épouse, qui, de son côté, nourrit un curieux intérêt pour deux énormes carpes.



Plus léger que les trois films pré-cités, Spiklenci Slasti (retitré en France Les Conspirateurs Du Plaisir) n'en demeure pas moins essentiel. Comédie féroce et tortueuse, le troisième long-métrage de Švankmajer joue déjà sur le même terrain qu'Otesánek. Frustration, manipulation, faux-semblants : tout est bon pour exposer aux yeux du spectateur -délicieusement berné tout au long de cet improbable jeu de piste- l'absurdité d'un quotidien hypocrite où le plaisir finit toujours par reprendre les armes.

3 commentaires:

  1. !!!!
    Là je me mords les couilles d'avoir loupé ce truc... ça se trouve quelque part en dévédés, ces films ?

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  2. Les courts-métrages sont dispo en DVD partout, mais malheureusement pas les longs... Alice et Otesanek sont dispo en dvd aux USA, Faust aussi (mais il est épuisé et se vend donc assez cher). Sinon, toute sa filmo est sur surrealmoviez et il me semble que Les Introuvables on également posté un de ses longs-métrages récemment.

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  3. On trouve notamment "Sileni" avec des s.-t. français chez LesIntrouvables. Un super film.
    Merci pour ton article, gars, et aussi pour tenir ce blog. A home for the coolness.

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