jeudi 9 décembre 2010

Another Day, Another Riot


Jeudi 18 novembre 2010
  • 19h41 Je rejoins Cléo à Pigalle. Après avoir tergiversé pendant près d'une minute, on décide d'aller manger à Da Carmine. Déjà parce qu'ils font les meilleures pizzas de l'Univers connu (juste derrière celles de la Gaststätte Trattoria Libau à Friedrichshain, mais là, c'est hors-concours, on touche au mystique). Ensuite parce que, comme ils font les meilleures pizzas de l'Univers connu, ça te permet de rentrer chez toi en te disant que tu as passé une pure soirée, même quand tu t'es enquillé un concert pourri juste après. Et le fait est que ce soir on va à La Machine Du Moulin Rouge pour la soirée Tsunami Addiction où jouent Rikslyd, Haussman et La Chatte.
  • 20h07 Chez Da Carmine, on mange les meilleures pizzas de l'Univers connu, certes. Mais on y est également servi par des types qui ne parlent pas un mot de Français, regardent des matches de foot sans le son et écoutent Jean-Jacques Goldman à plein volume, ce qui, il faut bien le reconnaître, représente une plus-value non négligeable
  • 20h29 On règle l'addition. Il se met à pleuvoir.
  • 20h34 Je pars retirer de l'argent un peu plus haut dans la rue. Le temps d'arriver au distributeur, la pluie s'est transformée en averse. Cléo s'abrite dans une cabine téléphonique.
  • 20h41 On arrive devant La Machine. Je réalise que la dernière fois que j'ai mis les pieds dans cette turne, elle s'appelait encore La Loco et que c'était il y a déjà trois ans, pour la soirée de lancement de Tsugi. Il y a des salles, comme ça, auxquelles on ne réussit jamais à s'attacher.
  • 20h44 Le hall de La Machine est désert. Visiblement, le public d'Adam Kesher et Chromeo (qui jouent à guichets fermés dans la grande salle) est aussi ponctuel que discipliné.
  • 20h47 Celui de Tsunami Addiction est de toute évidence nettement plus erratique. Bien que la soirée ait techniquement commencé depuis 17 minutes, il y a, à première vue, un peu moins de 10 personnes dans le sous-sol de La Machine (organisateurs, DJs et barmen compris).
  • 20h49 Parmi cette modeste assemblée, on remarque très vite Valérie. Il faut dire que c'est la seule qui n'est ni au bar, ni derrière les stands ou les platines. C'est aussi la seule qui danse. Qui plus est, c'est aussi la seule qui danse comme ça.
  • 20h52 Valérie nous explique en hurlant que la soirée a pris un peu de retard et qu'il serait donc judicieux de commencer à boire immédiatement.
  • 20h54 Bien qu'il fasse relativement sombre près du bar, j'aperçois un type dans un coin looké Pirate Des Caraïbes revisité Yves Saint-Laurent 1974, le tout dans des teintes ocre/fauve, raccord jusqu'à la barbe et aux cheveux qu'ils porte longs, roux et frisés, façon Raspoutine irlandais du Studio 54.
  • 20h55 Le type en question est en pleine discussion avec un genre de Siouxsie des Balkans qui porte une étincelante veste de type Indonésien sur laquelle elle secoue à intervalles réguliers une amphigourique crinière bleu néon qui luit dans l'obscurité.
  • 20h57 On s'installe a une des tables attenantes au bar, à côté d'un asiatique en costume aux cheveux gominés qui photographie un extincteur avec son iPhone.
  • 21h01 Je réalise dans une secrète épouvante que l'asiatique aux cheveux gominé en est à présent à sa neuvième photo d'extincteur.
  • 21h11 Tentant d'oublier l'asiatique aux cheveux gominés, je me concentre sur le DJ, une Bieberette (nf, jeune lesbienne qui ressemble à Justin Bieber) pleine d'allant, un peu juste dans les finitions (ça enchaîne au jugé), mais plutôt honnête dans sa sélection.
  • 21h19 La Bieberette cale un morceau vaguement disco. Le Raspoutine roux et la Siouxsie des Balkans se dirigent vers la piste.
  • 21h21 Le Raspoutine roux et la Siouxsie des Balkans se mettent à faire du vogueing. Froidement, précisément, total premier degré.
  • 21h22 Le Raspoutine roux et la Siouxsie des Balkans ont capté l'attention de toute l'assemblée, qui s'élève désormais à une cinquantaine de personnes, et qui est de toute évidence ébahie par le spectacle auquel elle assiste.
  • 21h25 La Bieberette joue un truc post-punk. Le Raspoutine roux et la Siouxsie des Balkans retournent près du bar, l'air à la fois apaisé et préoccupé, comme deux patineurs qui regagnent leur booth dans l'attente des notes du jury.
  • 21h32 Deux filles s'affairent sur scène à côté de la Bieberette. La première a un t-shirt trop grand et semble sortir d'une sieste de 4 heures ou d'un atelier de sérigraphie. La seconde a un mono-sourcil, une frange vert émeraude et porte diverses pièces de tissu scintillant en mode aléatoire. Je fais remarquer à Cléo qu'on dirait des Coco Rosie de Levallois.
  • 21h33 Le Raspoutine roux et la Siouxsie des Balkans lancent depuis le bar un baiser aux Coco Rosie de Levallois. Elles répondent par un gloussement et des poses géométriques.
  • 21h49 Je jette un coup d'oeil à l'asiatique aux cheveux gominés. Il est toujours en train de prendre les extincteurs en photo. Je réprime un hurlement.
  • 21h50 Je reporte mon attention sur un type habillé en randonneur, stationné aux abords de la console son, bras croisés et jambes fermement amarrées au sol, fixant la scène avec un air de défiance, comme si il s'apprêtait à la prendre d'assaut.
  • 21h54 Les Coco Rosie de Levallois quittent la scène. Elles ont visiblement terminé d'installer leur matériel.
  • 22h01 La salle commence à se remplir. L'asiatique aux cheveux gominés est rejoint par une fille en veston bleu nuit. Il range son iPhone à la hâte.
  • 22h04 Juste à côté de nous, un sosie de Jean Schulteiss circa 1984 et une blonde en collant académique de soie noire font leur apparition. Je note également la présence d'un homme mystérieux en gabardine et chapeau de cuir noir qui parcourt la salle entière à pas feutrés, un lourd sac de plastique sur le dos.
  • 22h09 La salle est désormais chichement remplie et les Coco Rosie de Levallois remontent sur scène. Le Raspoutine roux et la Siouxsie des Balkans, installés au premier rang, saluent avec ardeur un type en sweatshirt orange fluo et noeud papillon qui ressemble à un croisement entre Phil Collins et Géo Trouvetou.
  • 22h11 Les Coco Rosie de Levallois commencent à jouer. En fait elles ne sont pas de Levallois mais de l'ouest de la Norvège et s'appellent en réalité Rikslyd.
  • 22h13 Leur musique est ultra-datée et totalement pénible. Ça sonne en gros comme des faces B de Peaches circa 2003, avec des paroles chiantes et des gimmicks mélodiques insupportables.
  • 22h14 Evidemment, leur attitude scénique est au diapason : elles montrent leur cul, prennent des postures badass et se sentent obligées de préciser avant chaque morceau qu'elles parlent de sexe. Visiblement, personne ne leur a dit qu'on n'était plus en 1950.
  • 22h21 Normalement, là elles devraient arrêter. Mais en fait non, elles continuent. En plus le public a l'air carrément enthousiaste. 
  • 22h45 Elles jouent toujours. Je repense à la pizza.
  • 22h49 Le concert des Coco Rosie de Levallois se termine enfin.
  • 22h50 Alors qu'on se dirige vers le bar afin de célébrer le fait qu'on ne reverra plus jamais ce groupe de tout le reste de notre existence, Valérie nous tombe dessus en hurlant "putain mais c'était géééééé-nial", bousculant au passage un sosie de Françoise Sagan et une fille en combinaison rouge cintrée aux épaulettes démesurée qui lui donne l'air d'une part de tarte aux cerises.
  • 22h51 Souhaitant rester pudiques et courtois, on répond à Valérie qu'on a trouvé que c'était très objectivement la plus fantastique bouse qu'il nous ait été donné de voir depuis une bonne douzaine d'années. 
  • 22h52 Valérie éclate de rire la tête en arrière, comme un alchimiste dérangé, puis se remet à danser comme ça.
  • 22h54 Haussmann ont désormais remplacé la Bieberette aux platines. On se place en hauteur, pile devant la scène, ce qui nous donne une parfaite vue d'ensemble du dancefloor, qui est désormais découpé en deux parties : une ligne de front ultra-high-energy, où l'on distingue tout naturellement Valérie, le Raspoutine roux, la Siouxsie des Balkans et Phil Collins-Géo Trouvetou, mais aussi le sosie de Jean Schulteiss qui est carrément en train de smurfer (mais littéralement, quoi) ainsi que Milkymee et Zoé de Konki Duet, qui ne tardent pas à nous faire des signes façons cheerleaders en surchauffe; et, plus en retrait, un secteur beaucoup plus chillax, façon room low-groove aux frontières du malsain, où dansent au ralenti un type un peu sale qui a un swag digne de celui de Michael Cera dans Superbad, un quidam en total look François Mitterrand (manteau, chapeau de feutre, écharpe rouge) et l'homme mystérieux au chapeau de cuir, qui s'est délesté de son sac et de sa gabardine et arbore désormais une aveuglante chemise blanche.
  • 22h57 Un peu plus haut, vers l'entrée, je vois la blonde en collant académique qui danse seule contre un mur, prenant des poses excessives et fouettant les tentures de sa longue crinière.
  • 22h59 En fait, la blonde en collant académique n'est pas seule : il y a un individu en face d'elle qui la prend en photo (non, ce n'est pas l'asiatique aux cheveux gominés).
  • 23h09 La fille en combinaison rouge, accompagnée d'une gigantesque brune en tenue de jockey qui ressemble furieusement à Anthony Kiedis des Red Hot Chili Peppers, débarque à son tour au milieu de la joyeuse assemblée du dancefloor qui est désormais au taquet.
  • 23h10 C'est le moment que choisissent les définitivement très recommandables Haussmann pour caler "Theme From S-Express". Tout le monde part en brioche, c'est l'hystérie. Le sosie de Jean Schulteiss marche sur les mains, François Mitterrand donne des coups de poings dans le vide et la fille en combinaison rouge et sa copine Jockey-Anthony Kiedis se jettent contre les murs en hurlant.
  • 23h11 Je réalise que le public qui est présent ce soir est tout simplement le public que j'ai rêvé de voir à une soirée toute ma vie durant. Cet instant est juste putain d'incroyable.
  • 23h17 Le set d'Haussmann touche à sa fin, Nikolu et Stereovoid sont déjà sur scène.
  • 23h19 Ils sont rejoints par Vava Dudu, qui porte évidemment une de ses fameuses tuniques taillées dans des drapeaux de fans. Celle de ce soir a été réalisée avec un drapeau Madonna période Blonde Ambition Tour et un Bon Jovi que je daterais à vue d'oeil de l'époque Slippery When Wet, éventuellement New Jersey.
  • 23h20 Le concert démarre sur "Apache". Les gens deviennent fous. Mais vraiment. On les sent juste tous prêts à mourir ce soir. 
  • 23h23 En même temps, on se sent très vite prêt à crever sur place devant un concert de La Chatte. Ce groupe n'a pas juste des morceaux géniaux et une suprême attitude : ils te donnent carrément l'impression d'assister à un truc surpuissant, unique, hors du commun. Pour tout dire, hormis Black Bug et Cheveu les bons soirs, je ne vois pas UN groupe capable de leur arriver à la cheville sur scène à l'heure actuelle.
  • 23h25 Les morceaux se télescopent sans réel temps mort, dans une sorte de montée aussi nauséeuse qu'euphorique. Aux premiers rangs, c'est le chaos, les gens se mélangent, fusionnent, on ne reconnaît plus personne. Jean Schulteiss porte une combinaison rouge, Raspoutine a enfilé un pantalon de jockey et Siouxsie est devenue rousse. La blonde en collant académique, elle, continue sa session photo, à l'écart, comme si de rien n'était.
  • 23h57 Les derniers paliers de l'apocalypse sont franchis. La fille en combinaison rouge et sa copine Jockey-Anthony Kiedis tournent sur elles-mêmes à toute vitesse, en se tenant par les avant-bras. Le Raspoutine roux, la Siouxsie des Balkans et Phil Collins-Géo Trouvetou ne font plus qu'un, excentrique boule de chair à six bras roulant sur conciliabule de freaks où tout n'est plus que cris d'animaux, mâchoires crispées et collants filés. Un type complètement possédé enlève son pull et se met à fouetter les gens autour de lui, s'acharnant particulièrement sur François Mitterrand (qui, à en juger par sa réaction, semble ne pas apprécier). Le groupe joue ses deux derniers morceaux.
  • 00h11 Le concert est terminé. La fosse du sous-sol de la Machine est retournée, dévastée. Les gens errent, hagards, les bras levés vers le ciel. Kim Ann Foxman de Hercules And Love Affair prend les platines. Tout le monde se remet à danser. On se maudit de ne pouvoir rester plus longtemps. Peu importe, on vient d'assister au plus incroyable concert qu'il nous ait été donné de voir au cours de ces cinq dernières années, devant le meilleur public jamais réuni dans tout le Système Solaire. On vient de gagner un million de points-vie supplémentaires. On a oublié la pizza. Rien d'autre n'a d'importance.

        11 commentaires:

        1. Fucking hipsters!
          Ah bah depuis le temps qu'on l'attendait cette chronique!! Je me suis régalée!
          Et dire que ce soir là, j'avais songé à venir, en fait j'ai dû rester chez moi à mater un rerun de The Big Bang Theory ou un truc lose dans le genre.

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        2. Ah non mais là c'était pas du tout des hipsters, c'était des vrais freaks joviaux. Le hipster il étale son ennui, il représente la blase jusqu'au fond de la nuit. Eux, ils sont juste là pour s'amuser, ils sont excentriques par nature, depuis qu'ils ont 12 ans.

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        3. Darling chéri bibi j ai pleuré de rire en lisant cet article, merci... Par contre tu as du voir mon hologramme parce que ce soir là j'étais en concert en Ardèche.

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        4. Je confirme, ce n'était pas Milkymee mais Kumi qui faisait la pompom girl à l'autre bout de la salle. Ensuite je lui ai montré comment "danser gothique".

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        5. Ce qui est vraiment dingue c'est qu'on est genre 3 ou 4 a être certains que MMee était là. Mais en même temps, je crois aussi me souvenir qu'on avait évoqué le sujet au (pathétique) concert de Battant et qu'elle nous avait déjà dit "non mais vous trippez, j'étais en session live pour SFR dans un camping de l'Aveyron alimenté par fibre optique."

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        6. Super cool ! Un autre, un autre !

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        7. sans connaître 1 dizième des noms droppés tout au long de cette chronique, je me suis tapé 38 fous rires. est ce qu'il existe une vidéo de ce concert ?

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        8. si seulement les récits de concerts/soirées/manifs de tous poils pouvaient, dans les magazines en papier glacé, ressembler à ça (votre saga en format digest), on se ferait drôlement moins chier la bite.
          p.s. : même si je découvre votre truc 5 ans après sa publication... surtout ne changez rien, ça n'a pas pris une ride !

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        9. .... et que le blog a même mis la clef sous le paillasson !

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